L'E234, un conservateur naturel omniprésent dans nos assiettes, comporte-t-il un risque pour la santé ?

Fuente del artículo: Sciences et Avenir /image: WLADIMIR BULGAR / SCIENCE PHOTO LI / WBU / SCIENCE PHOTO LIBRARY VIA AFP / Par: Olivia Lorho

La nisine ou E234, un conservateur "naturel" dans nos assiettes, est-elle aussi inoffensive qu'on le pense ? Des scientifiques de l'Université de Chicago révèlent un impact surprenant sur la santé intestinale.

Cet additif alimentaire est utilisé comme conservateur en raison de ses propriétés bactéricides

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"Compte tenu des niveaux de conservateurs actuellement présents dans les aliments, il est très probable qu'ils puissent avoir un impact sur notre santé intestinale", alerte Jerry Zhang, post-doctorant à l’université de Chicago (Etats-Unis).

Dans une étude publiée dans la revue ACS Chemical Biology, son équipe pointe un possible effet néfaste des conservateurs sur les bactéries de notre microbiote intestinal. Elle s’est penchée en particulier sur un conservateur couramment utilisé par l’industrie agro-alimentaire : la nisine ou E234. "Cette étude est l'une des premières à montrer que les bactéries de l'intestin sont sensibles aux conservateurs", insiste Jerry Zhang.

Un conservateur naturel présent dans de nombreux aliments

Dans l’Union européenne, la nisine est présente dans plusieurs catégories d’aliments : les gâteaux de semoule ou de tapioca, les crèmes, le mascarpone, les œufs liquides pasteurisés, les fromages affinés et fondus. Depuis 2018, à la suite d’un élargissement des possibilités de son utilisation par l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA), on la retrouve aussi dans les fromages non affinés et les produits carnés traités thermiquement comme le jambon. Hors d’Europe, on la retrouve aussi dans des alcools, notamment la bière, des légumes en conserve, des soupes, des produits laitiers, à base de poissons ou encore des jus et des sauces.

La nisine dont le nom de code est E234 est un conservateur dit "naturel". Présente dans l’intestin humain et chez beaucoup de mammifères, elle est ce qu’on l’on appelle une bactériocine, un peptide antimicrobien (polypeptide dans son cas). Découverte en 1927, c’est la première bactériocine utilisée comme additif alimentaire.

Produite industriellement par une souche bactérienne : Lactococcus lactis à partir de lait ou de dextrose, elle est particulièrement efficace contre les bactéries, notamment celle responsable de la listériose. La nisine, c’est la "Rolls" des conservateurs grâce à son large spectre bactéricide et ses propriétés : elle est facilement soluble dans l’eau, peu sensible au pH, très stable en milieu acide, active au-delà de 100°C, tout en préservant les qualités organoleptiques et nutritionnelles des produits.

Une action antimicrobienne néfaste pour le microbiote ?

Est-on en passe de découvrir sa face cachée, avec des effets délétères passés inaperçus jusque-là ? Il est trop tôt pour conclure car les travaux des chercheurs de l'université de Chicago ont été conduits exclusivement in vitro. Et pas avec la nisine elle-même mais sur six peptides antimicrobiens proches d’elle.

Mis en présence, in vitro, d’une part, de micro-organismes pathogènes et d’autre part de bactéries du microbiote intestinal, ces molécules aux effets puissants ont provoqué la mort des deux types de bactéries, avec même une efficacité supérieure sur les bactéries non pathogènes. Jerry Zhang en conclut que "la nisine est un conservateur ajouté à nos aliments depuis longtemps dont l'impact sur nos microbes intestinaux n'a pas été bien étudié."

Mais rien ne dit que l’étude soit facilement extrapolable aux conditions biologiques qui règnent dans le corps humain. En effet, l’EFSA a rappelé que, selon les études évaluées en 2006, "la nisine est inactivée par la salive humaine et les enzymes digestives comme la pancréatine". Prudence donc en attendant de nouvelles études. Mais c'est un argument de plus s’il en fallait pour consommer avec modération les aliments ultra-transformés.

Par Olivia Lorho