Particules dans les additifs alimentaires : quels sont les effets sur la santé digestive ? Focus sur le projet ANR PAIPITO
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Des particules minérales, utilisées comme additifs dans de nombreux produits alimentaires, sont quotidiennement ingérées par les populations. Quels sont les impacts de leur consommation dans le développement et/ou l’aggravation de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), et d’allergies alimentaires chez l’Homme ? Une question au cœur du projet de recherche ANR PAIPITO (2017-2020) qui s’est attaché à évaluer les effets inflammatoires sur des modèles alternatifs et animaux, et à identifier les mécanismes expliquant ces effets à l’échelle cellulaire. Entretien avec Marie Carrière, chercheuse au CEA Grenoble et coordinatrice du projet.
Pour quelles raisons des particules de dioxyde de titane (TiO2, E171 dans l’UE) et de silice amorphe synthétique (SiO2, E551 dans l’UE) sont présentes dans certains aliments, et pourquoi étudiez-vous plus spécifiquement leurs effets ?
Marie Carrière : Autorisés depuis les années 1960, l’E171 et l’E551 figurent actuellement parmi les additifs les plus utilisés dans les aliments en termes de tonnage. L’E171 est employé pour des propriétés de colorant blanc, notamment dans les pâtisseries, les confiseries ou les dentifrices, et l’E551 est employé comme anti-mottant en particulier dans les produits alimentaires lyophilisés (soupes, laits, cafés en poudre, etc.).
Nos recherches préliminaires au projet menées sur un modèle in vitro d’épithélium intestinal, montraient que l’E171 pouvait avoir des effets perturbateurs de la fonction de barrière intestinale (Brun et al., Particle and Fibre Toxicology, 2014), soit la fonction de protection de l’organisme contre des substances toxiques qui passeraient dans l’intestin, et nous souhaitions approfondir nos études. De plus, une étude menée par Sarah Bettini (Bettini et al., Scientific Reports, 2017) montrait in vivo chez le rongeur que l’E171 pourrait avoir des effets micro-inflammatoires sur l’intestin, montrant des déséquilibres immunitaires chez l’animal exposé qui suggéraient une atteinte de la tolérance orale, c’est-à-dire de la réponse de l’intestin à des allergènes alimentaires. Ces données furent le point de départ du projet ANR PAIPITO dont l’objectif était d’évaluer les effets d’une exposition chronique au E171, ainsi qu’au E551 pour lequel nous avions peu de données, sur la fonction de barrière intestinale, le développement des MICI, et la tolérance orale aux allergènes alimentaires.
A quelles doses sont quotidiennement exposées les populations via leur alimentation, et par quelles approches et méthodes avez-vous évalué les effets d’une exposition chronique aux additifs E171 et E551 ?
Marie Carrière : D’après les rapports de 2016 et 2018 de l’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) relatifs à ces deux additifs alimentaires, l’exposition moyenne au E171 est estimée à 0,2 mg/kg/jour pour les nourrissons et les personnes âgées, et à 5,5 mg/kg/jour pour les enfants, soit environ 100 mg/jour/enfant (selon une moyenne de 20 kg par enfant). L’exposition moyenne au E551 est quant à elle estimée à 0,7 mg/kg/jour pour les personnes âgées et à 18,4 mg/kg/jour pour les enfants, soit environ 400 mg/jour/enfant.
A partir de ces estimations, nous avons fixé la dose d’exposition au E171 et au E551 à 10 mg/kg/jour pour nos études in vivo sur le rongeur, qui est une dose réaliste. Ces animaux ont été exposés soit via l’eau de boisson, soit via leur nourriture. Nous avons sélectionné un lot d’E171 avec une gamme de taille intermédiaire parmi 5 lots achetés, ces 5 lots présentant la même cristallinité, et un lot d’E551 parmi les 3 fournis par le partenaire industriel du projet Solvay Silica, qui est un matériau vendu à fort tonnage en Europe actuellement et donc représentatif du marché.
Deux scénarios d’exposition ont été mis en place :
Un premier pour étudier les effets inflammatoires et le développement de MICI sur des souris gestantes exposées au E171 et au E551 depuis le 1er jour de gestation jusqu’à la naissance du petit, et sur les souriceaux exposés jusqu’à leur 50ème jour via l’allaitement maternel, l’eau de boisson ou l’alimentation ; car les conditions périnatales jouent un rôle important dans la propension de l’individu adulte à développer une MICI. Les études ont été menées sur des modèles de rongeurs représentatifs de la population générale (wild-type), et sur des modèles de souris présentant une prédisposition génétique à une MICI telle que la maladie de Crohn ou la rectocolite hémorragique. Plusieurs paramètres ont été évalués ou sont en cours d’évaluation : effets sur la perméabilité intestinale, inflammation de l’intestin, effets sur le microbiote, etc.
Un second pour étudier les effets d’une exposition à long terme sur la mise en place de la tolérance orale aux allergènes alimentaires chez des souris adultes de type wild-type, exposées au E171 ou au E551 pendant 60 jours.
En vue de décrypter les mécanismes associés aux effets éventuels observés in vivo, nous avons également mené des études in vitro sur des cellules épithéliales intestinales exposées pendant soit 24h, soit 21 jours, et de macrophages exposés durant 24h, 24h avec une période de récupération de 72h, ou 7 jours.
Avez-vous observé, chez les rongeurs, des effets inflammatoires, des modifications de la perméabilité intestinale ou de la fonction de tolérance orale aux antigènes alimentaires ?
Marie Carrière : Les premiers résultats montrent une augmentation de la perméabilité intestinale chez les rongeurs wild-type et ceux présentant une susceptibilité génétique aux MICI, exposés au E171 ou au E551, augmentation qui est davantage marquée chez ces derniers. On retrouve cet effet à la fois sur l’iléon et le colon. L’augmentation de la perméabilité intestinale étant un des marqueurs des MICI, l’ingestion chronique à ces additifs serait susceptible de favoriser une aggravation de cette maladie chez l’individu.
On observe par ailleurs un défaut de mise en place de la tolérance orale. En effet, un protocole de tolérisation des souris adultes wild-type a été mis en œuvre avec une préexposition à de l’ovalbumine pendant 3 jours puis un rappel une semaine plus tard. Cela vise à habituer l’intestin de l’animal à une exposition à de l’ovalbumine pour lui permettre de mettre en place une réponse anti-inflammatoire contre cet allergène alimentaire, et ainsi éviter une inflammation lors d’une nouvelle exposition. Or, lorsque les animaux tolérisés et exposés de façon chronique au E171 ou au E551 reçoivent une nouvelle dose d’ovalbumine, ils ne mettent pas en place cette réponse anti-inflammatoire, contrairement aux animaux tolérisés non exposés à ces additifs. Cela pourrait s’expliquer par un défaut d’activation des cellules immunitaires impliquées dans la réponse anti-inflammatoire. De plus, une inflammation intestinale est observable chez les animaux tolérisés et exposés au E171 ou au E551, confirmant que la tolérisation orale n’a pas eu lieu.
Quels effets avez-vous observé sur les modèles in vitro d’épithélium intestinal et de macrophage ?
Marie Carrière : Sur le modèle wild-type d’épithélium intestinal exposé au E171 nous observons des effets génotoxiques mineurs, médiés par des effets oxydants, mais pas d’effets cytotoxiques, c’est-à-dire pas de mortalité cellulaire (Dorier et al., Nanotoxicology, 2017). Nous observons également une altération de la fonction de barrière intestinale, avec une augmentation de la sécrétion du mucus et une augmentation de l’expression de pompes d’efflux des xénobiotiques (qui rejettent les xénobiotiques, des substances toxiques, à l’extérieur des cellules). L’intestin réagit ainsi au E171 en mettant en place ce qui semble être des mécanismes de défense (Dorier et al., Env. Sci Nano, 2019). Enfin, on observe une inflammation dans cet épithélium, en particulier lors d’une exposition à long terme (21 jours) au E171. Aucun effet n’a en revanche été observé sur le modèle wild-type d’épithélium intestinal exposé au E551, ni sur le modèle de prédisposition génétique à la maladie de Crohn.
A contrario sur le modèle de macrophages, nous n’observons pas d’effets lors d’une exposition au E171, mais des effets modérés lors d’une exposition au E551, notamment des effets inflammatoires et une diminution des capacités phagocytaires des macrophages. Ces effets sont transitoires : après une phase de récupération de 2 ou 3 jours les cellules récupèrent un niveau basal de viabilité et de réponse immunitaire (Torres et al., Nanomaterials, 2020a et b).
Quels sont les apports éventuels de ces données pour la recherche sur la toxicité des additifs alimentaires E171 et E551, et les prochains axes de recherches ?
Marie Carrière : L’E171 est interdit en France depuis début 2020 et jusqu’à fin 2021, mais est cependant toujours autorisé en Europe. La dernière réévaluation de l’EFSA, publiée fin mars 2021, souligne que l’E171 ne peut plus être considéré comme sûr. Une partie de nos données de recherche a notamment contribué à cette réévaluation, en particulier nos données sur les effets génotoxiques observés in vitro sur un modèle d’épithélium intestinal, qui sont citées dans le rapport. Concernant les effets d’une exposition chronique au E551, très peu de données sont à ce jour disponibles dans la littérature scientifique.
Nous poursuivrons les analyses engagées dans le cadre du projet, notamment sur les effets d’une exposition au E171 et au E551 sur le microbiote, et le développement d’organoïdes intestinaux à partir des cellules souches intestinales des animaux exposés. Nous élargirons également nos études sur les effets d’autres contaminants alimentaires particulaires, notamment les micro et nanoplastiques. Par ailleurs, deux des partenaires du projet PAIPITO, dont mon équipe, étudierons au sein du nouveau projet ANR INPAGE le devenir des particules de TiO2 rejetées dans l’environnement (industriels ou issus de produits contenant ces particules, tels que les peintures blanches) pour évaluer les effets d’une exposition environnementale sur la fonction digestive.
Le projet ANR PAIPITO, coordonné par Marie Carrière, chercheuse au CEA Grenoble, associait 4 partenaires : Toxalim (INRAE), le Laboratoire Chimie et Biologie des Métaux (CNRS), l’Institut de Recherche en Santé Digestive (INSERM) et Solvay Silica. Il était au programme de la rencontre scientifique Anses & ANR « Microplastiques et nanomatériaux : recherche en environnement santé » le 20 mai 2021.