Nutrition: qu’est-ce qu’une alimentation «équilibrée» aujourd’hui?
la source: Le Figaro Santé / image: Kondratova Ekaterina/ Auteur: Christine Baudry
Haro sur la viande rouge, sur le sel, le sucre et le gras! À l’heure où les condamnations alimentaires pleuvent, que reste-t-il de l’équilibre nutritionnel?
«Que ton aliment soit ton médicament». Cette formule attribuée à Hippocrate, figure tutélaire de la médecine, a été mise à toutes les sauces, y compris celles des régimes alimentaires les plus absurdes. Mais son succès ne se dément pas parce qu’elle réaffirme une conviction populaire: il faut bien manger pour être en forme. Et ce ne sont pas les enquêtes nutritionnelles répétées depuis plusieurs décennies qui contrediront cette impression.
En 2017, lors de la troisième édition de la vaste étude Inca (étude individuelle nationale des consommations alimentaires), l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) concluait que «le rôle de l’alimentation dans l’augmentation ou la prévention de certaines maladies comme le cancer, l’obésité ou les maladies cardio-vasculaires est aujourd’hui scientifiquement établi».
La malbouffe tue
Trop de sel, de sucre et de graisse ; trop d’aliments ultratransformés ; pas assez de fibres, de fruits et légumes… Le diagnostic est posé: dans nos pays, ce n’est plus la sous-alimentation, mais le déséquilibre alimentaire qui tue. Il ne suffit pas de manger, il faut manger de tout. En avril dernier, une étude internationale publiée dans la revue The Lancet quantifiait à 11 millions le nombre de décès dans le monde attribuables à un mauvais régime alimentaire. Soit un décès prématuré sur cinq… plus que le tabac, qui provoque 8 millions de morts chaque année.
Manger équilibré n’est pas forcément une notion qui va de soi. L’équilibre alimentaire est-il identique pour le Chinois et l’Italien? Pour l’adolescent et le vieillard? Pour le sportif et le diabétique? Le cardiologue conseille d’équilibrer son alimentation avec davantage de poissons gras. Le gastro-entérologue rappelle l’intérêt des fibres, et le pédiatre celui des produits laitiers. Le gériatre, enfin, vérifie que la personne âgée consomme assez de protéines… Pour autant, il n’y a pas de contradictions entre ces spécialistes car in fine, les conseils personnalisés de chaque médecin à son patient s’inscrivent bien dans un schéma nutritionnel général qui pose les conditions de l’équilibre alimentaire en termes de santé publique.
Coup d’arrêt à la progression de l’obésité
Et de fait, le programme national nutrition santé (PNNS) a pu faire sourire en 2001 avec ses invitations à manger cinq fruits et légumes, mais il a bien eu un effet positif. «En 2016, l’étude Esteban a montré qu’il y avait eu, sur dix ans, un coup d’arrêt à la progression de l’obésité et du surpoids chez l’adulte comme chez l’enfant, en France. Les campagnes de santé publique y ont participé», note le Dr Chantal Julia, médecin, enseignante-chercheuse à l’AP-HP et à l’université Paris-XIII.
En janvier 2019, pour prendre en compte les avancées de la recherche, l’agence Santé publique France a donc fait évoluer les recommandations du programme «Manger-Bouger» avec quelques nouveautés:
- Consommer davantage de légumineuses, pois chiches ou lentilles, par exemple ;
- Augmenter la part des féculents complets, comme le pain ou le riz complets ;
- Ajouter des fruits à coque, amandes, noix, noisettes, riches en oméga 3 et bénéfiques au niveau cardiovasculaire ;
- Limiter la consommation de charcuteries et de viandes.
Les fruits et légumes variés restent parmi les préconisations du PNNS 2019, tout comme l’appel à réduire encore les quantités de sucre ou de sel.
Ne pas tout calculer
«Il ne faut pas envisager l’équilibre nutritionnel sous l’angle strict d’une balance entre entrées et sorties, consommations et dépenses de nutriments, mais comme un projet global d’alimentation favorable à la santé, explique le Dr Julia. Une vision fonctionnelle de l’alimentation, limitée à des calculs d’apports en tel nutriment ou telle vitamine, ne peut s’intégrer durablement dans la vie quotidienne, et elle risque en revanche de favoriser l’orthorexie, une obsession du contrôle alimentaire dont on connaît les effets pervers…»
C’est d’ailleurs pour cette raison que les conseils du PNNS doivent se comprendre sur la semaine plutôt qu’au jour le jour, encore moins repas par repas. Et qu’ils insistent aussi sur l’importance de l’exercice pour lutter contre la sédentarité.
Manger équilibré, ce n’est pas remplir un bilan comptable, mais ce n’est pas non plus diaboliser certains aliments et les bannir à jamais. Il s’agit plutôt de valoriser les bons produits et de favoriser la variété. C’est l’objectif du Nutri-Score, l’étiquetage nutritionnel lancé par Santé publique France en 2016. Ses logos, qui signalent la valeur nutritionnelle d’un produit alimentaire en se basant sur une classification de A à E sur un bandeau coloré du vert au rouge, ont vocation à guider le choix des consommateurs. Les produits ultratransformés étiquetés E ne sont pas interdits, mais signalés à l’attention du client, qui peut ainsi en limiter la consommation.
«En outre, tous les produits transformés d’une même catégorie, pizzas ou biscuits industriels, par exemple, ne se retrouvent pas tous avec le même E sur fond rouge», note Anne-Juliette Serry, responsable de l’unité nutrition et activité physique à Santé publique France. «Les biscuits moins gras, par exemple, ou moins riches en sels cachés ont un C plutôt qu’un E». Et le consommateur se repère immédiatement sans avoir à consulter les informations nutritionnelles toujours écrites en caractères minuscules. «Indirectement, le Nutri-Score est aussi pensé pour inciter les industriels à améliorer leurs recettes et à sortir leurs produits du rouge», confirme Anne-Juliette Serry.
Enfin, manger équilibré, c’est aussi, désormais, manger éthique, l’environnement et la santé étant indissolublement liés. Les chercheurs en santé publique qui élaborent le PNNS assument donc de vouloir désormais peser aussi sur l’amélioration des denrées en recommandant les circuits courts, les produits de saison, voire le bio, et en limitant les pesticides.