Aliments pour chiens et chats : sont-ils bons pour leur santé ?

Source: Ca minteresse / image: - / Author: Frédérique Boursicot

C’est un marché florissant. Mais les aliments ultratransformés que consomment nos compagnons sont-ils adaptés pour les maintenir en bonne santé ?

Un foyer français sur deux héberge un animal de compagnie, soit 15 millions de chats et 7,5 millions de chiens, qu’il faut nourrir chaque jour ! Le secteur de l’alimentation animale, ou petfood, estimé à 4 milliards d’euros annuels en France, se partage entre les grands groupes agroalimentaires : Mars (Whiskas, Frolic, Royal Canin…), Nestlé (Purina, Friskies…) et Colgate- Palmolive (Hill’s…). Si ce marché a augmenté de presque 50 % en dix ans ( Xerfi), les inquiétudes sur la qualité de l’alimentation ont progressé parallèlement. Certains lanceurs d’alerte, rejoints à l’occasion par des vétérinaires, font le lien entre les problèmes de santé de leur animal et sa nourriture : obésité, allergie, diabète, troubles rénaux ou cancers. « On recommande aux humains de ne pas consommer plus de 15 % de nourriture industrielle, souligne Jérémy Anso, auteur de Ce poison nommé croquettes [disponible en ebook sur son site dur-a-avaler.com]. Dans le même temps, nos animaux en consomment tous les jours. » À l’autre bout du linéaire, les industriels rétorquent que les chats et les chiens n’ont jamais eu une aussi longue espérance de vie. « Un loup vit sept ans, un chien treize », rappelle Jean-Charles Duquesne, trésorier de la Fédération des fabricants d’aliments pour animaux familiers (Facco). « La nourriture industrielle a, au contraire, permis de mieux les nourrir. »

Dans le petfood, des restes de carcasses

Les croquettes et les pâtées sont produites à partir des reliefs de carcasses d’abattoir, appelés les sous-produits. « Le mot fait peur, mais c’est une simple qualification des viandes qui ont quitté la filière alimentation humaine, explique Jean-Charles Duquesne, également directeur général de La Normandise, une usine de fabrication d’alimentation humide (pâtées). Nous utilisons le cœur et tous les abats, les muscles du cou, le foie, les rognons [les reins] et même le sot-l’y-laisse du poulet. » Après prélèvement des pièces destinées aux humains, il reste environ 60 % d’une vache, 50 % d’un poulet, 40 % d’un porc. Contrairement aux idées reçues, l’industrie n’utilise ni les pattes ni les becs et encore moins les cadavres d’animaux envoyés à l’équarrissage. « Ce n’est pas forcément le cas aux États-Unis, mais en Europe c’est tout simplement interdit », précise-t-il. Cependant, on y trouve aussi des tendons, des cartilages, de la peau, des os. Selon une étude de 60 Millions de consommateurs de 2017, plusieurs produits destinés aux chats contenaient ainsi beaucoup de collagène, une protéine très pauvre en acides aminés ; d’autres, des taux de matières minérales dépassant les 10 %, ce qui fait suspecter une trop grande présence d’os.

Une législation aux contours flous

Ne vous fiez pas aux « belles bouchées de bœuf » vantées par les étiquettes ! Selon la législation, un produit qui « contient du bœuf » doit en receler un minimum de 4 %, tandis que « riche en bœuf » en exige seulement 14 %. D’ailleurs, la plupart des produits mélangent des ingrédients de plusieurs origines animales : du bœuf, de l’huile de saumon, de la volaille, du porc, du lapin. Les fabricants ne sont pas tenus d’indiquer la source des protéines présentes et peuvent faire évoluer la recette sans changer l’étiquetage. « La réglementation en Europe se fonde sur un guide de bonnes pratiques édité par les industriels eux-mêmes », pointe Jérémy Anso. Ces bonnes pratiques, établies par un groupe d’une douzaine de professeurs en nutrition vétérinaire pour la Fédération européenne des fabricants de petfood, indiquent les minima pour chaque nutriment. Dans le document, pas un mot sur la part des glucides, pourtant dans la ligne de mire des détracteurs des croquettes.

Des glucides qui divisent

Les glucides, issus des céréales et essentiels à la fabrication des croquettes (il en faut au moins 9 % pour les façonner et assurer leur bonne tenue) sont suspectés de favoriser les allergies alimentaires, la prise de poids et le diabète chez nos animaux de compagnie. « Les fabricants nous promettent “le bien-être animal” mais tirent la qualité vers le bas, en mettant de l’amidon, bien moins cher que les protéines ou les lipides, pour augmenter leurs marges », dénonce Gilles Vouillon, fondateur du groupe Facebook « Alertes croquettes toxiques » (130 000 membres). Or les chiens et les chats n’ont pas besoin de glucides car ils sont capables de produire leur propre glucose (par la néoglucogénèse) à partir des protéines. Et si on leur en donne, ces carnivores sont-ils capables de les digérer ? « Le chien descend du loup mais n’en est plus un », rappel le Alexandre Blavier, directeur de la communication scientifique et vétérinaire chez Royal Canin. Partageant la même gamelle que les humains depuis trente mille ans, le chien semble s’être adapté à sa nourriture omnivore. « Et à l’exception de quelques races nordiques, il produit assez d’amylase, l’enzyme capable de digérer l’amidon, pour consommer des céréales », assure Bernard-Marie Paragon, professeur émérite à l’école vétérinaire d’Alfort (Val-de-Marne).

Le chat, lui, reste un authentique carnivore et doit recevoir une alimentation riche en protéines : 5,2 grammes par kilo de poids corporel par jour. « Mais il tolère bien la consommation de glucides si l’on ne dépasse pas un certain seuil », souligne Bernard-Marie Paragon. Un seuil qui varie selon les experts, de 15 à 30 % de la ration journalière. Or, des glucides, il y en a souvent bien davantage. Jusqu’à 60 % ! Pourtant, le taux de glucides ou d’amidon ne fait pas partie des mentions obligatoires et n’apparaît pas sur l’étiquette.

En se basant, entre autres, sur la présence ou non de glucides, le groupe Alertes croquettes toxiques a établi un « petfood score », sur le modèle du NutriScore. « 80 % des produits sont classés D ou E, même les croquettes vétérinaires », souligne Gilles Vouillon. Classement qui laisse les fabricants de marbre. « Il est fondé sur des critères inventés par l’administrateur de ce groupe et qui n’ont pas de réalité scientifique, explique Alexandre Blavier de Royal Canin. De notre côté, nous avons 200 chercheurs en nutrition animale et nous publions des études scientifiques validées par les pairs. Selon nous, l’amidon a un intérêt nutritionnel. Ce sont des sucres lents très digestes qui limitent la faim tout en étant deux fois moins caloriques que les protéines ou les lipides. » « On se concentre trop sur les glucides alors que ce qui est crucial, ce sont les lipides, estime de son côté Jean-Charles Duquesne. Un chiot carencé en DHA ou EPA [des oméga 3] se développe anormalement. »

D’autres composés présents dans les céréales suscitent des questions : les mycotoxines, des toxines produites par des champignons, qui se développent dans les champs où poussent les cultures ou lors du stockage de ces dernières. « Ces toxines s’accumulent dans l’organisme des animaux, mais aussi des humains, et posent des problèmes sur le long terme : cancers du foie ou des voies urinaires, infertilité…, explique Florence Mathieu, professeure à l’École nationale supérieure agronomique de Toulouse (Haute-Garonne). Les taux sont réglementés au niveau européen. Mais les animaux mangent souvent des croquettes de la même marque et peuvent les accumuler. »

Pour répondre aux inquiétudes des propriétaires, des marques affichent désormais « sans céréales » sur l’emballage. Dans les faits, les croquettes renferment quand même des glucides, sous forme de pois cassés ou de patates douces. « Ces sources d’amidon ne sont pas sans danger, souligne Jérémy Anso. Car elles contiennent des oxalates, qui risquent de favoriser des calculs rénaux. »

Comment décrypter une étiquette de croquettes

Exemple d'étiquette :

Composition : céréales, viande et sous-produits animaux, huiles et graisses, extraits de protéines végétales, sous-produits d’origine végétale, légumes, substances minérales.

Constituants analytiques : protéines 26, 5 %, Matières grasses 12 %, Cendres brutes 6,5 %, Cellulose brute 2, 5 %, Calcium 1, 5 %.

Il faut bien regarder le premier ingrédient, le plus important dans la composition (ici les céréales). Certaines marques affichent le pourcentage de viande. Il arrive que les céréales soient décomposées en plusieurs catégories (par exemple maïs, farine de maïs, blé, farine de blé), ce qui permet d’indiquer la viande en premier même si la proportion est inférieure à celle des céréales. Les additifs (vitamines A, D, E, sulfate de fer…) sont notés à part.

Les cendres correspondent aux minéraux : magnésium, potassium… La cellulose désigne une partie des fibres. La réglementation n’impose pas d’indiquer la quantité de glucides. Pour la calculer, il faut soustraire de 100 les valeurs ci-contre ainsi que 10 % d’humidité (en moyenne). Ici, on obtient 41 % de glucides.

Croquettes ou pâtées, que faut-il choisir ?

Émincés en sauce, soupes, cœur fondant… L’alimentation dite humide, en moyenne quatre fois plus chère, renferme généralement plus de protéines et fournit une meilleure hydratation aux chats. « Dans la nature, les chats sont des petits buveurs. Ils trouvent l’humidité dans leurs proies – une souris en contient 70 % – alors que les croquettes en recèlent moins de 10 %, ce qui peut conduire, si le chat ne boit pas assez, au développement de troubles urinaires et rénaux », expose Bernard-Marie Paragon. Mais certaines pâtées contiennent du sucre et d’autres, notamment celles « de la mer », des métaux lourds présents dans les poissons sauvages. Et bien que l’amidon ne soit pas nécessaire à leur fabrication, on en trouve néanmoins, parfois à haute dose dans les premiers prix. « L’idéal reste de combiner croquettes et pâtée, note Jean-Charles Duquesne, pour combler les problèmes des unes avec les avantages de l’autre. L’humide sèche dans la gamelle, ce que détestent les chats, mais il est très appétant et quatre fois moins calorique que les croquettes, qui sont plus stables et facilement proportionnables. »

Prix élevé rime-t-il avec qualité ?

Dans les rayons, les prix varient d’un à quinze euros le kilo pour le très haut de gamme. La différence se justifie-t-elle ? « On ne peut pas faire un aliment de qualité avec un prix en dessous de deux euros le kilo », estime Bernard-Marie Paragon. Cependant, la qualité n’augmente pas proportionnellement avec le prix. Le coût de certains produits s’explique par leur « spécialisation » : chiot, stérilisé, grand air, senior, surpoids, problèmes urinaires… « Les besoins caloriques d’un chat stérilisé diminuent de 30 %, tandis que son appétit augmente de 20 %, relève Alexandre Blavier. Si l’on maintient la quantité de nourriture, le chat va devenir obèse, surtout s’il est sédentaire. » Certes, ce type de croquettes contient plus de fibres pour la satiété et moins de lipides. Mais « l’apport protéique est souvent insuffisant pour que le chat retrouve sa masse maigre », pointe la Dre Géraldine Blanchard, spécialiste en nutrition clinique vétérinaire.

Que penser des croquettes conçues pour une race : yorkshire, persan… ? « On ne peut pas donner des croquettes de même taille à un chihuahua et à un dogue allemand, cinquante fois plus gros », plaide le vétérinaire de Royal Canin. De même, les chats à poil long auraient besoin d’un apport protéinique supérieur pour la fabrication de leurs poils. Autre exemple : « 100 % des dalmatiens mâles développent des calculs urinaires, pour des raisons génétiques, note Alexandre Blavier. La gamme qui leur est destinée contient une protéine qui limite les déchets azotés. » Si le haut de gamme peut répondre à des besoins spécifiques, rien n’oblige à le choisir pour son animal. « Des produits très peu chers peuvent convenir à la plupart des animaux, rappelle Jean-Charles Duquesne de la Facco. Tant qu’ils sont en bonne santé, il n’y a pas d’inquiétudes à avoir .» Pour Géraldine Blanchard, « la nourriture doit surtout être adaptée à certaines circonstances : croissance, senior, sédentaire, stérilisé… Le propriétaire d’un yorkshire aura tendance à choisir le sac de croquettes portant une photo de son animal mais cela reste du marketing ».

Le fait-maison peut-il faire l’affaire ?

S’il n’y a pas péril en la gamelle, d’autres tendances émergent, notamment le fait-maison. « Il ne faut pas donner les restes de table ! rappelle Géraldine Blanchard, également gérante du site cuisine-acrocs.com, qui propose des recettes. Chaque ingrédient compte ! Sinon, on court à la catastrophe ». Une « ration ménagère » bien pensée comprend de la viande fraîche ou congelée, des légumes (notamment des courgettes, dont les chats raffolent), des céréales, le tout mélangé à un cocktail de vitamines et de minéraux (qu’on trouve en pharmacie, chez le vétérinaire, en ligne…). « Si votre animal est malade, le vétérinaire pourra trouver des recettes adaptées à sa pathologie », poursuit-elle.

Autre méthode en plein essor, notamment pour les chiens : le Barf ou Biologically Appropriate Raw Food, qui vise à nourrir son compagnon avec de la viande crue, additionnée de légumes et compléments (huile…). « C’est une alimentation appropriée mais il existe un risque bactérien associé à la viande crue, rappelle la vétérinaire. Et il faut aussi tenir compte des bactéries, dangereuses pour l’humain, que le chien peut relâcher. Des salmonelles dans une maison, c’est pire que le Covid. » Cuire un peu la viande peut aider à contourner ce danger potentiel. Par ailleurs, en phase de croissance ou de gestation (chat et chien), il est conseillé de veiller à l’apport en lipides et en minéraux pour éviter les déficits. Reste que l’alimentation 100 % protéines pose d’autres questions en raison de l’impact environnemental de la consommation de viande.

Pour autant, mieux vaut éviter de se tourner vers l’alimentation végane, qui émerge en rayon. « Le régime purement végétal n’est absolument pas adapté aux chiens et encore moins aux chats ! s’emporte Géraldine Blanchard. Si vous voulez un animal végétalien, achetez un lapin ! » Chaque mode d’alimentation a ses défauts et ses qualités, et les besoins peuvent varier d’une race et d’un individu à l’autre. Seule solution : surveiller la santé de son compagnon, repérer les troubles digestifs ou cutanés, et surtout lui faire faire de l’exercice !

Ce qu'il faut retenir

  • La nourriture pour les animaux domestiques est fabriquée à partir des restes des carcasses d’abattoir. S’il ne s’agit pas des meilleurs morceaux, on n’y trouve ni animaux d’équarrissage, ni becs, ni plumes.

  • Certaines croquettes contiennent peu de protéines et beaucoup de glucides, ce que certains animaux supportent mal, notamment les chats.

  • Si les premiers prix sont de qualité médiocre, la qualité n’augmente pas toujours proportionnellement au prix de vente. Le fait-maison présente des avantages s’il est équilibré.

Chiffres clés

  • 97,5 % des foyers possédant un chat lui donnent des croquettes ; 55,1 % des boîtes ; 16,6 % des restes de table ; 5,7 % des aliments cuisinés.

  • 94,6 % des foyers possédant un chien lui donnent des croquettes ; 35,4 % des restes de table ; 21,6 % des boîtes ; 14,5 % des aliments cuisinés.

  • 1 224 €. C’est le budget moyen annuel consacré par les Français à leur animal, dont 51 euros par mois pour l’alimentation.

  • 82 % des produits vendus dans l’Hexagone sont fabriqués en France.

  • 2 €. C’est le coût, selon le magazine Capital, de la fabrication d’un paquet de croquettes vendu en supermarché 6,90 €.

Sources : Facco, Capital, observatoire Cetelem.